
Quand le vent pousse la décarbonation des navires

Voiles rigides, semi-rigides, ailes de kite ou rotors … sont autant de technologies envisagées pour propulser les navires de demain. Mais leur développement reste complexe et leur efficacité difficile à quantifier.
L’ajout de voiles modifie le comportement du navire, par le biais d’efforts qui interagissent avec la carène et la chaîne propulsive, et sa trajectoire se retrouve davantage dépendante des conditions météorologiques. Ce qui pose des défis en termes de routage et d’exploitation.
Trouver la configuration optimale
L'interaction entre le système de propulsion vélique et le navire reste mal comprise et rarement évaluée sur le plan scientifique. C'est pourquoi l’ENSTA et l’ENSM ont lancé, en janvier 2024, le projet SOMOS labellisé IngéBlue et financé par l'Agence de l'Innovation de Défense (AID).
Côté ENSTA, Charles Dhainaut élabore des modèles physiques pour simuler les efforts et les interactions complexes entre le système de propulsion vélique et le navire. Ces modèles s’intègrent dans un solveur innovant, capable d’optimiser simultanément plusieurs aspects : les paramètres de conception du navire et du système vélique, les paramètres de contrôle (régime moteur, angle de barre, réglages du système vélique, etc.), ainsi que le routage, simulé sur un large éventail de départs répartis sur une année d’exploitation du navire. Le tout permet une évaluation réaliste des performances de ces navires.
L’approche globale, qui inclut le routage, est essentielle : deux systèmes véliques n’auront pas le même impact sur un navire donné. Nous adoptons une démarche résolument globale et modulaire pour intégrer un maximum de paramètres dans nos optimisations, avec parfois plusieurs milliers de variables à traiter. L’objectif est d’estimer précisément les gains potentiels en consommation de carburant
souligne Matthieu Sacher, enseignant-chercheur à l’ENSTA et spécialiste des interactions fluide-structure.
L’impact du déploiement de ces futurs navires sur l’organisation et la sécurisation du transport maritime sera étudié par Martin Hochhausen, dont la thèse débutera en 2025 co-encadrée par l’ENSTA et l’ENSM. Ce travail permettra d’intégrer les règles de navigation internationales pour prévenir les abordages en mer dans le solveur.

Former le personnel navigant
Un simulateur de navigation, développé par Florent Richard à l’ENSM, intègrera les modèles physiques avec l’ensemble de leurs paramètres (déploiement des voiles etc.). « Cet outil servira à former le personnel navigant aux futurs systèmes de propulsion vélique et à évaluer les impacts opérationnels », explique Pedro Merino-Laso, chargé de recherche Développement durable à l’ENSM.
L’estimation de la consommation en carburant, les algorithmes de routage et les règles de navigation internationales feront partie des paramètres testés à l’aide d’interfaces hommes-machines (manettes, joysticks, écrans tactiles).
Christophe Vanhorick apportera son expertise en modélisation CFD pour l’optimisation du couplage aéro-hydrodynamique, la carène en dérive, les interactions, l’équilibre et la manœuvrabilité.
Une fois finalisés, l’ensemble des outils informatiques seront disponibles sur une plateforme en ligne, accessible à d’autres acteurs tels qu'universitaires ou industriels, pour favoriser le partage et l’innovation collaborative.
Un propulseur à axe vertical « tout électrique » pour plus d'efficacité énergétique

Assurer une poussée précise à 360° d’un navire n’est pas chose aisée. Depuis les années 50, le propulseur cycloïdal Voith-Schneider est utilisé pour répondre à cette problématique. Il se caractérise par la rotation de plusieurs pales autour d’un axe principal, associé à un mouvement de chaque pale autour de leur propre axe secondaire.
Cependant, le calage des pales repose sur un système mécanique qui ne permet pas le passage d'un mode de fonctionnement à « haute » vitesse vers de la « basse » vitesse, et inversement.
Une solution tout électrique
Pour remédier à ce problème, les équipes de l’École navale et d’ENSTA planchent sur une solution innovante, celle d’un propulseur cycloïdal électrique. Un moteur principal entraîne les pales en rotation et un moteur par pale permet de lui donner l’orientation nécessaire, et optimale, à la propulsion souhaitée. Les actionneurs de chaque pale sont électriques et remplacent les systèmes mécaniques.
L’avantage ?
Cette solution « tout électrique » permet de s’affranchir des limites imposées par l'entraînement mécanique, explique Frédéric Hauville, enseignant-chercheur à l’École Navale et spécialiste des interactions fluides-structure. Désormais, il est possible de générer n’importe quel mouvement pour chaque pale et donc d’étudier des cinématiques variées.
L’orientation des pales par rapport à la direction d’avancement du navire est appelée « loi de calage ».
Tout l’enjeu de notre projet est d’établir des lois de calage optimales pour maximiser l’effort propulsif, puis d’optimiser le pilotage et les performances du propulseur à l’aide de méthodes d’apprentissage automatique
précise Matthieu Sacher, enseignant-chercheur à l'ENSTA et spécialiste des interactions fluide-structure.
Une première thèse en amont du projet, réalisée par Guillaume Fasse, à l’École Navale et en partenariat avec l'ENSTA et l’IFREMER, a permis une première optimisation des performances hydrodynamiques du propulseur. Depuis 2023, les trois organisations poursuivent le développement du propulseur dans le cadre du projet SHIVA financé par l’Agence de l'Innovation de Défense (AID) et labellisé IngéBlue.
Des essais en conditions réelles début 2026
Un démonstrateur équipé de 6 pales (4,2 kW moteur principal, 200 W chaque moteur secondaire) est en construction. Côté ENSTA _au laboratoire de mécanique IRDL[1], UMR du CNRS_ Guillaume Fasse met en œuvre des méthodes d’optimisation du propulseur pendant que, du côté de l’IRENav, Clément Douche réalise la conception du futur prototype à 6 pales et Florent Becker s’occupe du contrôle des moteurs.
Le prototype devrait être finalisé en février 2025 pour des essais en bassin sur le comportement du propulseur vis à vis de la carène à l’automne 2025.
Courant 2026, les performances propulsives seront testées sur un bâtiment militaire dans le bassin du centre DGA Techniques hydrodynamique et sur un démonstrateur WASP en conditions réelles.
[1] Institut de Recherche Dupuy de Lôme (UMR du CNRS 6027 qui réunit ENSTA, UBS, UBO et ENIB)